Ce magnifique chant poétique chargé de mélancolie du chanteur breton Denez Prigent interprété en breton en duo avec la chanteuse australienne Lisa Gerrard lui a été inspiré par la mer. Il évoque un « cœur blessé » en attente d’un ailleurs sublimé « entre la mer et les étoiles » qui désire être emporté par le courant marin et le vent chargé d’embruns. La chanson a été utilisée en version remixée dans la bande originale du film de de Ridley Scott, Black Hawk puis dans de nombreux autres média, série télévisée, reportages et émissions de radio. La chanson fait partie de l’album Irvi sortie en 2000 qui lui vaudra une Victoire de la Musique l’année suivante suivie d’un disque d’argent. Irvi est le pluriel du mot erv qui désigne un chemin reliant deux îles entre elles ou une île au continent, uniquement praticable à marée basse. René Guyomarc’h dans le site des Inrockuptibles compare cette chanson d’où sourd « un sombre tourbillon métaphysique » à la hent eon, autre nom breton du gué de mer qui se traduit par le joli nom de « chemin d’écume ».
Gortoz A Ran, » J’attends »
Gortozet ‘m eus, gortozet pellJ’ai attendu, j’ai attendu longtemps E skeud teñval an tourioù gellDans l’ombre sombre des tours brunes E skeud teñval an tourioù gell Dans l’ombre sombre des tours brunes
E skeud teñval an tourioù glavDans l’ombre sombre des tours de pluie C’hwi am gwelo gortoz atavVous me verrez attendre toujours C’hwi am gwelo gortoz atav Vous me verrez attendre toujours
Un deiz a vo ‘teuio en-droUn jour il reviendra Dreist ar morioù, dreist ar maezioùPar-dessus les mers, par-dessus les champs
Un deiz a vo ‘teuio en-dro Un jour il reviendra, Dreist ar maezioù, dreist ar morioùPar dessus les campagnes, par dessus les mers ‘Teuio en-dro an avel c’hlasReviendra le vent vert Da analañ va c’halon gloaz’tEt emportera avec lui mon coeur blessé
D’am laerezh war an treujoùM’emporter sur les chemins ‘Teuio en-dro karget a fruIl reviendra, chargé d’embruns E skeud teñval an tourioù duDans l’ombre sombre des tours noires Kaset e vin diouzh e anal Grace à son souffle, je serais emporté Pell gant ar red en ur vro all Loin dans le courant, dans un autre pays
Kaset e vin diouzh e alan Je serais emporté, grace à son souffle Pell gant ar red, hervez ‘deus c’hoantLoin dans le courant, selon son désir
Hervez ‘deus c’hoant, pell eus ar bedSelon son désir, loin de ce monde Etre ar mor hag ar steredEntre la mer et les étoiles
Suis enfin arrivé après une trop longue absence à mon cher K… Rien ne semble avoir changé depuis mon dernier séjour : mêmes murs massifs de granit gris usés par le temps, rongés par la mousse et le lichen que strient parfois les saillies fulgurantes d’un lierre belliqueux qui voue une haine tenace aux façades, même cacophonie sage des toitures d’ardoises grises et bleues que l’on confond avec le ciel lorsque celui se plombe de nuages sombres et lourds, mêmes massifs exubérants d’hortensias dont les tiges ploient sous le poids de leurslourdes efflorescences rouillées, même silence pesant et compact troublé seulement par l’aboiement d’un chien qui a vu en vous un intrus, le chant d’un coq saisi soudainement d’un délire existentiel ou par les cris rauques d’un banc de mouettes qui, pour une raison inconnue, ont jetées leur dévolu sur votre portion de ciel. Comme d’habitude, aucun être humain n’est visible dans les trois uniques ruelles qui traversent le hameau ainsi que dans les cours des anciennes fermes et jardins attenants mais vous pressentez que derrière les vitrages sombres des petits fenêtres encadrées de blocs de granit taillés et soigneusement jointoyés les regards scrutateurs d’êtres invisibles, qu’ils appartiennent au monde d’ici-bas ou à l’autre monde, ne perdent aucun de vos faits et gestes…
Rien ne semble avoir changé sauf un détail, invisible dans le paysage mais lourd de conséquences : le hameau est désormais couvert par un réseau de téléphone mobile et bénéficie même de la couverture 4G ! Dans le passé, pour pouvoir utiliser son mobile, il fallait monter au dernier étage de la vénérable demeure, jusque dans les combles, ouvrir un vasistas, escalader une chaise et après avoir réussi à extirper avec peine la moitié de son corps au travers du vasistas étroit, se dresser au-dessus de la toiture et tendre la main le plus haut possible pour tenter de capter un réseau hypothétique et capricieux. Voir jaillir de la toiture d’ardoise, tel un diable de sa boîte, une moitié de corps humain en pleine gesticulation et semblant entretenir une conversation avec un interlocuteur invisible était d’un comique du meilleur effet et nos correspondants au fait des conditions qui régissaient la communication ne manquaient pas de nous interpeller à ce sujet : « Je t’entends mal, peux-tu te pencher un peu plus ou même monter plus haut sur le faîtage…», J’avoue avoir éprouvé un regret face à cette avancée inattendue du « progrès » et ressenti la nostalgie pour ce qui nous apparaissait alors tout à la fois comme une gêne et une protection contre le monde extérieur. En fait, je m’aperçois aujourd’hui que j’appréciais hautement cette expérience cocasse, occasion unique donnée de partager pour un temps l’ordinaire des chats de gouttières en découvrant les toits de K… et le paysage qui l’accompagnait. L’abandon soudain de ce qui était devenu avec le temps un « rite » que nous avions fini par intégrer et qui faisait partie de notre histoire familiale était à n’en pas douter un petit pas de plus dans ce que certains ont nommé « le désenchantement du monde »…
J’avais, il y a quelques années, écrit un poème sur l’une de nos arrivées dans le hameau de K… et dans lequel je faisais allusion de manière imagée et humoristique à cette difficulté que nous éprouvions alors de communiquer avec le monde extérieur. Ecrit aujourd’hui, ce poème serait, assurément, totalement différent.
Havre de paix (version 2)
Sommes arrivés hier à K…. Les images, les bruits, la fureur, sont restés à l’entrée du village, bloqués par un cordon d’hortensias. Ils s’agitent et trépignent, tentant à tout prix de franchir les lignes. Rares sont ceux qui y parviennent, ils sont impitoyablement rattrapés… On nous les emmène sous bonne garde afin que nous décidions de leur sort.
Nous ne sommes pas cruels. La plupart sont simplement éconduits, mais ils arrivent que certains restent… Cela dépend de l’air du temps ou de notre humeur du moment. Pas de télévision, pas de téléphone. Lorsque nous ressentons le besoin de connaître les nouvelles du monde, il nous faut aller à la chasse au lépidoptère.
Dans les airs, au-dessus de la maison, volètent, en route pour l’Amérique, de grands papillons origamiques aux ailes faites de papier journal. * Y sont imprimées les nouvelles du jour, cours de la bourse et faits divers. En nous penchant par la lucarne, nous en capturons quelques-uns à l’aide du grand filet à fines mailles qu’on utilise pour pêcher la crevette.
Après lecture, nous les relâchons, Ce n’était qu’un prélèvement passager et il doivent accomplir leur voyage…
°°°
000 * J’avais emprunté cette métaphore du papillon aux ailes en papier journal en hommage à l’un de mes poètes préférés, le poète suédois Tomas Tranströmer qui, dans son poème AIR MAIL (Baltiques, Œuvres complètes 1954-2004) l’a utilisée avec son génie habituel.
AIR MAIL
À la recherche d’une boîte aux lettres je portais l’enveloppe par la ville. Ce papillon égaré voletait dans l’immense forêt de pierre et de béton.
Le tapis volant du timbre-poste les lettres titubantes de l’adresse tout comme ma vérité cachetée planaient à présent au-dessus de l’océan.
L’Atlantique argenté et reptile. Les barrières de nuages. le bateau de pêcheurs tel un noyau d’olive qu’on recrache. Et la cicatrice blafarde du sillage.
Le travail avance lentement ici-bas. Je lorgne souvent du côté de l’horloge. dans le silence cupide les ombres des arbres sont des chiffres obscurs.
La vérité repose par terre mais personne n’ose la prendre. la vérité est dans la rue. Et personne ne la fait sienne.
Une amie de ma fille, Zoé, a eu la gentillesse (et l’esprit militant…) de m’envoyer le lien avec un reportage réalisé par la journaliste Olivia Mokiejewski sur le thème du cochon et présenté le 12 novembre dernier sur Antenne 2 en me conseillant de le diffuser le plus possible… Effectivement, ce reportage est édifiant et fait réfléchir …
.
Résumé :
« Les cochons ! Ils sont tout roses, si attachants avec leurs grands yeux. Et ils sont partout dans nos assiettes. Ils sont tellement présents que j’ai voulu connaître la face cachée de ma tranche de jambon. C’est l’histoire triste et vraie d’un système devenu absurde où il n’y pas de coupable mais dont nous sommes tous responsables. Un monde où les hommes et les animaux sont devenus des machines. »
.« Il y a des moments où il faut être une emmerdeuse. » – Olivia Mokiejewski.
Après s’être intéressée à la recette du Coca-Cola, « l’emmerdeuse » a décidé de se pencher sur le hamburger des Français, le jambon-beurre. On en consomme chaque jour plus de 2 millions. Il faut dire que quand on n’a pas beaucoup le temps de cuisiner, comme elle, le jambon c’est pratique, bon et pas cher. Le porc est d’ailleurs la viande la plus consommée en France et dans le monde. Le jambon blanc fait partie des dix produits les plus vendus de la grande distribution. L’image que nous vend l’industrie est celle d’un produit simple, sain et authentique dans laquelle le cochon n’apparaît jamais. D’ailleurs il y a 1,2 milliard de cochons sur terre et pourtant, on ne les voit jamais.
Olivia Mokiejewski a voulu savoir ce qu’il se cachait derrière cette tranche de jambon et son déguisement champêtre. Elle a tenté de suivre le parcours d’un cochon de l’élevage jusqu’à l’assiette. Et ça n’a pas été simple. La filière porcine est l’une des plus discrètes du secteur agroalimentaire. Et pour ne rien arranger, elle traverse une grave crise qui touche de plein fouet la Bretagne, la région du cochon. Cependant, certains acteurs de la filière (éleveurs, salariés d’abattoirs) qu’on entend rarement, et qui dénoncent ce manque de transparence, ont accepté de témoigner. Comment sont élevés les cochons ? A quoi ressemble le quotidien de ceux qui nous nourrissent ? Pourquoi estil si difficile de filmer dans une usine de jambon ? Quel est impact de notre consommation du « toujours moins cher » ? L’emmerdeuse a voulu regarder sa tranche de jambon droit dans « les yeux ».
Merci à Olivia Mokiejewski d’avoir eu le courage et l’obstination nécessaire pour nous dévoiler les coulisses de l’agro-alimentaire de la filière porcine, du stade de la production à la commercialisation, et mettre à jour ce qui se situe derrière le décor aseptisé et esthétisé mis en valeur pour nous rassurer et nous faire consommer, réalité qui nous est habituellement soigneusement cachée et à laquelle, par ignorance ou lâcheté, nous évitons de penser.
Finistère : éleveur de Mahalon se rendant à la Foire voisine de Pont-Croix
Four à pain au Cap Sizun – crédit photo Olivier Gueganton. Un lecteur me fait savoir que ce bâtiment, que j’avais pris pour une soue (ancien nom de désignation d’une porcherie) était en réalité un ancien four à pain qui avait peut-être servi effectivement de soue. Les soues sont identifiée dans le cap Sizun par leurs avaloirs extérieurs qui permettaient de nourrir directement les animaux sans avoir à rentrer dans le bâtiment.
et un exemple de porcherie industrielle…
°°°
Le reportage d’Olivia Mokiejewski a ramené à mes souvenirs le texte et le petit poème que j’avais commis à l’été 2011 à la suite d’une promenade édifiante dans la belle campagne bretonne du Cap Sizun :
» Imaginez un décor idyllique : vieux village aux bâtisses de granit que domine une tour-clocher toute en dentelle de pierres finement ciselées, brassées généreuses d’hortensias déclinant toutes les nuances de couleurs du rose au violet qui vous accueillent aux pieds des maisons simples mais coquettes, pelouses anglaises parfaites tondues de près. En arrière plan le moutonnement des dunes couvertes de bruyère et derrière elles l’océan dont on sent la présence par la qualité et la senteur toute particulière de l’air charrié par le vent du large. A la sortie du village commence le bocage, les près de petite taille sont entourés de haies variées et de murets de pierres sèches colorées de tâches orange et brunes par le lichen. Dans l’un d’entre eux un âne vous regarde passer, dubitatif; dans un autre, deux superbes chevaux se poursuivent en galopant mais bizarrement aucune vache en vue… J’atteins un hameau, mêmes maisons de granit coquettes et fleuries que celles du village que je viens de quitter. Chaque cour est entourée d’un muret et possède son vieux puits de granit. Intégrés aux murets d’enclos, la taille miniature de petites constructions de granit aux ouvertures en façade si particulières intrigue, ce sont les anciennes étables à cochons aujourd’hui inutilisées, remplacées par les élevages industriels; les ouvertures servaient à introduire directement de l’extérieur la nourriture aux cochons. Tout est parfaitement net et entretenu. Je songe à la relation étroite, on pourrait dire symbiotique, qui unit dans cette extrémité du continent européen, les hommes à leur terre, à leur histoire, à leur patrimoine culturel. Soudain, à la sortie du hameau, le décor change brusquement : les maisons coquettes ont laissé la place à un groupe de bâtiments gris de type industriel de faible hauteur et bâti tout en longueur. Peu d’ouvertures et celles existantes sont opaques ou grillagées. Sur le toit des cheminées de ventilation, contre les parois sont fixées des sortes d’armoires métalliques et à proximité des bâtiments se dressent des silos et un réservoir en béton. Un décor sinistre qui jure avec l’environnement naturel et humain, policé et civilisé, qui l’entoure. Son antithèse absolue… L’ensemble provoque un malaise qui augmente d’un cran lorsque l’on bute sur un panneau sur lequel est écrit en lettres capitales « ENTREE STRICTEMENT INTERDITE » et qu’un berger allemand sorti brusquement de sa niche se rue vers vous en aboyant. Heureusement, il est maintenu par une laisse. Mais le pire viendra un peu plus tard quand vous entendez jaillir, en provenance des bâtiments, un cri déchirant, un cri de bête à qui il ne reste de liberté que ce cri, cet appel au secours lancé dans le désert , cri qu’habituellement personne n’entend où ne veut entendre… J’ai eu un moment le désir de frapper à la porte de la jolie maison fleurie et de demander au propriétaire s’il lui était possible de me faire visiter l’établissement voisin qui le faisait vivre, lui et sa famille, pour comprendre comment, lui, sans doute fils et petit-fils d’agriculteurs qui avaient travaillé la terre et pratiqué l’élevage de manière traditionnelle, certainement amoureux de sa terre et fier de ses traditions, vivait cette situation schizophrénique et ce rapport inhumain avec les animaux. Je n’ai finalement pas osé de peur d’être mal reçu par incompréhension.. ».
°°°
« ENTREE STRICTEMENT INTERDITE »
Une jolie maison bretonne aux fenêtres entourées de granit, des massifs d’hortensias… des jouets d’enfants dans la cour : les trois petits cochons de Walt Disney en plastique, tout souriant.
Des alignements de bâtiments tristes à mourir, tels des stalags. Des silos nombreux et trop grands. Une gigantesque cuve en métal pleine d’un liquide noir stagnant. Pas de clôture, pas de portail. Une voie se faufile entre les bâtiments. Un panneau d’avertissement :
ENTREE STRICTEMENT INTERDITE !
Une niche et son chien fou qui tire sur sa chaîne et aboie… pas une âme qui vive, sauf celle du chien… et puis un bruit lancinant de machine venu des bâtiments et toujours les aboiements…
Soudain, un cri déchirant… Une longue plainte grognée, la souffrance d’une bête, son incompréhension, son désespoir… Elle se démultiplie alors, poussée maintenant par des centaines de groins… Une mélopée poignante qui couvre un moment le bruit de la machine et les aboiements du chien.
Une mélopée désespérée que personne n’entend jamais où ne veut entendre… Pouvoir crier dans le désert, c’est la seule et dernière liberté que les hommes magnanimes auront concédé aux cochons…
Garde des cochons familiaux, par les enfants, à Poulgoazec près d’Audierne.
Dans le Cap Sizun, les familles de pêcheurs avaient souvent un lopin de terre. Pour les besoins des familles, ils cultivaient des pommes de terre et divers légumes et élevaient un cochon. .L’amélioration des menus venait de la pêche aux coquillages et surtout du petit lopin de terre fournissant les légumes et les fruits. L’élevage d’un cochon, quand cela était possible, améliorait bien les menus. Le cochon était nourri aux pommes de terre, aux orties récoltées au bord de la route, aux restes de cuisine, le tout bouilli dans de l’eau « enrichie » des eaux de cuisson de cuisine. L’intérêt de cet élevage, à cette époque, était que la viande restait comestible longtemps après l’abattage de la bête grâce, entre autre, à sa conservation par le sel. Cet abattage, suivi du découpage et du traitement de la viande, réunissait tout le quartier pour un « fest an o’ch », fête du cochon, se terminant par un bon repas avec du cochon sous toutes ses formes (lard, jambon, saucisson, boudin…). A noter aussi l’élevage de quelques moutons sur les parties dites« communes » – crédit Musée Maritime du Cap-Sizun.
–––– Ce que m’ont chuchoté les pierres –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Histoire de fou…
Dans la ville endormie le sonneur est fou à lier… C’est pour cela qu’on l’a attaché aux cordes de ses cloches. Toutes les nuits, il les fait sonner. Elles sonnent, elle sonnent… Mais cela ne dérange personne car ce sont des cloches de bois. Mais lui les entend sonner toutes. Elles résonnent dans sa tête, Elles résonnent à tue-tête, Elles lui ont tué la tête, C’est pour çà qu’il est fou…
le tableau semble accrochésur la façade de l’immeuble. Le cadre grossier qui l’entoureimite les encadrements de granit des vraies fenêtres voisines. C’est une peinture en trompe-l’oeil qui représente une jeune fille accoudée sur le rebord d’une fenêtre. Elle regarde, pensive, le paysage. Le tableau est criant de vérité. Pour faire encore plus vrai l’artiste a fait déborder un voile sur le cadre de granit. En arrière plan de la composition on distingue un intérieur bourgeois : lustre, buffet, horloge … et, accroché à un mur, le calendrier des postes. C’est un tableau animé, au bout d’un moment le voile s’agite au vent, la jeune fille se redresse et s’évanouit dans le décor
A Pont-Croix, dans la rue de Rosmadec, vivait une très vieille dame aux habits aussi noirs que le geai, aux cheveux gris comme la cendre. On l’appellait la Jeannette. Elle avait un gros chat, A la pelure aussi noire que le geai Mais quand, dans la vitrine, il dormait Il était aussi gris que la cendre. La Jeannette avait un neveu aux cheveux noirs comme le geai. Mais quand il passait la tête à travers l’ouverture béante du grenier, ils étaient devenus tout gris, aussi gris que la cendre. Le neveu de la Jeannette était aussi son mitron. .
Dans le grenier, il cuisait le pain : farine de sarrazin pour le pain noir, farine de froment pour le pain blanc. Dans la rue de Rosmadec, On ne voit plus la Jeannette Son neveu aussi a disparu… le gros chat est toujours là mais sa pelure est toujours noire, aussi noire que les plumes du geai Fini le pain noir au sarrazin, Fini le pain blanc au froment.
Enki, Pont-Croix, 13 août 2011,
°°°
–––– Dans le hameau de K……. –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Havre de paix
Sommes arrivés hier à K…. Les images, les bruits, la fureur, Sont restés à l’entrée du village Bloqués par un cordon d’hortensias. Ils s’agitent et trépignent, tentent à tout prix de passer. Rares sont ceux qui y parviennent, ils sont vite rattrapés… On nous les emmène pour décider de leur sort. La plupart sont éconduits mais certains parfois restent… cela dépend de notre humeur. Pas de télévision, pas de téléphone, si nous voulons connaître les nouvelles du monde, il nous faut aller à la chasse : au-dessus de la maison passent de grands papillons aux ailes de papier journal, y sont imprimées les nouvelles du jour. Par la lucarne nous en capturons quelques-uns à l’aide du grand filet à crevettes. Après lecture, nous les relâchons, Pour qu’ils poursuivent leur mission…
Tendrement enlacés, nous lisions à l’unisson un roman captivant, mon fauteuil et moi. Le jardin s’agitait pour rien à travers la porte ouverte. Soudainement, le soleil, furibard, a fait irruption, dans la pièce obscure, dardant des rayons éblouissants. Ça suffit ! Dehors ! Cria-t’il, hors de lui…
Cette nuit, On a frappé à ma porte C’étaient une procession Composée de toutes les figurines Des églises et chapelles du cap Qui venaient me chercher. Certaines étaient faites de pierre D’autres de bois peint. J’ai reconnu les saints de Saint-Tügen Et ceux de Saint-
On a longtemps marché A travers les landes et les boisJusqu’à une fontaine de pierre sise au pied d’une très vieille chapelle Une belle dame y était assise Avec son enfant dans les bras.
A l’aube, je me suis réveillé Sur les dalles glacées De la fontaine de Treventec Dans le pays de Poullan.
Sous la grande prairie bleutée où l’herbe pousse à l’envers, des troupeaux de brebis paîssent la tête en bas. Quelqu’un a balayé la lande et rassemblé les maisons en un gros tas autour de l’église puis il a caché la poussière sous des brassées d’hortensias. Nous nous sommes enfuis du village, un chemin et moi, pour faire l’école buissonnière à travers les près et les bois,
Dans ma maison, j’entends chaque nuit la cave monter l’escalier. Elle s’arrête sur le palier. et attend là patiemment que le grenier descende. Il est toujours en retard… Quand le grenier est là, je les entends chuchoter derrière la porte close… Que peuvent-ils bien se dire ?
Son sort en est jetéIl sera abattu ! Pour le moment, Il ne le sait pas encore, Il continue à faire son travail d’arbre comme il l’a toujours fait… On ne lui a pas demandé son avis. Mais demande t’on leur avis aux condamnés à mort ? Mais lui, il n’a rien fait ! Me direz-vous, toujours prêts à défendre la cause de la veuve et de l’orphelin… Mais en cherchant bien, on trouvera quelque chose … C’est à cause de lui que la charpente a pourrie, que le toit s’est effondré. Il faisait de l’ombre et ses épines fixaient l’humidité sur les ardoises grises. Et puis ses racines déstabilisaient les murs. Et puis c’est un étranger venu d’on ne sait où… Il devrait nous remercier qu’on l’ait si longtemps toléré…
La route ? une fermeture-éclair qui transforme le paysage en vieux chandail. La voiture ? la glissière de la fermeture-éclair. Le matin, j’ai pris ma voiture pour aller à la ville. J’ai laissé derrière moi le paysage ouvert en deux moitiés séparées. Entre les deux, il y avait un gouffre profond dont on ne voyait pas le fond. Plus personne ne pouvait passer…. Tout rentrera dans l’ordre, le soir, lorsque je rentrerais…
Ma voiture ? c’est une goinfre. Elle avale les kilomètres. Elle n’est jamais rassasiée ! Je la vois avaler le ruban gris de la route et même le paysage tout entier. J’aime appuyer sur l’accélérateur, les maisons, les prairies, les forêts, les rivières et même les montagnes sont comme englouties : elles entrent par le pare-brise, voletent un moment dans tous les sens tels des oiseaux affolés, se heurtent aux parois et finissent enfin par s’échapper par la lunette arrière. Dans mon rétroviseur, je les vois s’éloigner et disparaître dans le lointain. Le tronc d’un gros arbre, aussi, est entré mais il y est resté…
l’écran de l’ordinateur ? Un trou creusé dans la glace de l’océan gelé des relations humaines. Dans ce trou, je pêche l’océan tout entier. parfois je rentre bredouille, parfois je suis comblé. M’étant endormi un jour je suis tombé dedans. L’océan ne m’a pas recraché.
Avant, quand je prenais une photo, l’œil dans le viseur, je cadrais : déplacer l’objectif vers la droite pour cacher les poubelles, le descendre un peu pour ne plus voir le fil électrique qui pandouille, attendre que la grosse dame disgracieuse ait traversé la rue. Je n’appuyais sur le déclencheur que quand plus rien ne clochait… Résultat de tout cela ? Mes photos étaient presque parfaites. Avec l’apparition de Photoshop Je prend la photo sans me soucier de rien et sur mon écran d’ordinateur je coupe, j’élague, j’effaçe, je gomme, je rajoute, je modifie, je transforme, bref, j’améliore… Résultat de tout cela ? Mes photos sont maintenant parfaites ! Il faut voir mon album de photos. Je l’ai mis en ligne sur facebook. Je n’ai que des compliments. Je trouve que c’est gratifiant de rendre les choses plus belles.
Il existe plusieurs manières pour rendre les gens sourds : Leur enfoncer à grands coups de marteaux deux grands clous de charpentier dans les tympans. Leur verser du plomb fondu dans les oreilles. C’est barbare, cruel et les sourds vous en veulent… mais il est une méthode plus douce et plus efficace : Leur verser lentement dans les oreilles du miel tiède. C’est doux et agréable et les sourds en redemandent…
Visages de pierre du calvaire et de la chapelle de Saint Tugen, commune de Primelin – Bretagne Cap Sizun – photos prises le 31 juillet 2010 vers 18 h 20.
Jean-Julien Lemordant est un peintre breton qui a vécu une vie tragique. Formé à L’Ecole régionale des Beaux-arts de Rennes, il complètera sa formation à Paris auprès des peintres Bonnat, Lafond et du sculpteur Lenoir. Sa peinture sera influencé par les peintres de l’Ecole de pont-Aven, par le fauvisme et par le peintre Charles Cottet. Il partage son travail entre Paris et la Bretagne. En 1904, le jeune peintre (il a 26 ans) est installé à Saint-Guénolé quand l’hôtel de l’Epée à Quimper lui commande une série de fresques murales pour décorer sa salle à manger. Le travail est colossal : 65 m2 de murs sont à peindre percés de 11 portes. Lemordant réalisera 23 peintures groupées en 5 séquences :
Dans le vent qui seront complétées ultérieurement à Penmarc »h par :
Contre le vent
Le Pardon le phare d’Ekmühl
Le Goémon la Chapelle Notre-Dame de la Joie
le port
Quatre de ces panneaux décoratifs seront exposés à paris en 1905 au Salon d’automne.
Contre Le Vent
Dans le Vent
Les ramasseurs de Varech
Les fresques de l’Hôtel de l’Epée à Quimper ont connu un succès considérable et apporté au jeune peintre une certaine notoriété. En 1913, l’Opéra de Rennes lui passe une commande prestigieuse : la peinture du plafond de l’Opéra qu’il peindra durant l’année 1914. Lemordant réalisera à cette occasion une ronde bretonne.
Plafond de l’Opéra de Rennes – 1913
La guerre interrompt tragiquement cette carrière prometteuse : envoyé sur le front, il est gravement blessé à la tête le 4 octobre 1914, est fait prisonnier par les allemands et devient aveugle. En 1918, devenu un héros il est envoyé aux Etats-Unis pour mener une campagne de propagande en faveur de la France. Il y restera plusieurs mois et sera accueilli avec ferveur, le spectacle d’un peintre de talent qui a fait par patriotisme le sacrifice de ses yeux émeut les américains et c’était là le but recherché des organisateurs de cette tournée.
Il recouvrera miraculeusement la vue cinquante plus tard, après une trentaine d’opérations, à l’occasion d’un accident qui aurait « déplacé » le morceau de métal placé dans son cerveau. Certains l’accusent d’avoir simulé la cécité, au moins durant une partie de cette période.
Il est mort le 11 juin 1968 à Paris à l’issue d’une manifestation de rue.
En 1923, Lemordant est interrogé par un journaliste de l’époque sur les idées qui l’avait inspiré dans la définition du programme des Fêtes de Saint-Guénolé dont il avait eu la responsabilité. Le texte ne manque pas de saveur :
LES IDÉES ET LE BUT du peintre JEAN-JULIEN LEMORDANT
par René Bastien – Les Belles Chansons de France
Dans le coin sauvage, et grandiose à la fois, de Bretagne qu’est Saint-Guénolé, j’eus le plaisir d’assister dernièrement à une fête populaire. Sachant que le programme de cette fête était dû à l’ardente inspiration du peintre, aveugle de guerre, Jean-Julien Lemordant, je demandai au célèbre artiste de vouloir bien m’en préciser le but et le caractère.
« Mon but, me dit M. Lemordant, est celui de la Fédération des Artistes, Intellectuels, Musiciens et Savants de la Bretagne que je préside : réagir de toutes nos forces contre le mauvais goût outrancier qui, après avoir envahi les grandes villes, menace aussi notre chère Bretagne. Nous menons, dans ce sens, la même lutte que vous avez entreprise en faveur de la Chanson avec Les Belles Chansons de France, que je suis heureux de connaître puisque nous sommes appelés à collaborer intimement ensemble. « Nos fêtes populaires doivent être essentiellement le reflet des traditions, des coutumes et de l’âme même de notre race, dans toute leur naïveté, leur candeur, leur rudesse et toute leur farouche poésie ; or, je vous le demande, les fêtes organisées depuis la guerre dans certaines de nos villes bretonnes, que j’aime mieux ne point nommer, méritent-elles le nom de « Fêtes bretonnes » avec leurs flonflons américains, leurs mascarades ridicules, leurs danses épileptiques, leurs grotesques chars en carton-pâte, et sont-elles vraiment dignes du goût et du génie français ? « Conserver – ou plutôt redonner – à nos fêtes leur caractère véritable, et laisser à notre Bretagne ses binious mélancoliques, ses coiffes fraîches et légères, ses costumes somptueux, ses danses celtiques, tel est notre but. « En composant le programme des réjouissances auxquelles vous assistez aujourd’hui, nous avons voulu prouver, non seulement aux touristes mais aussi aux Bretons eux-mêmes, qu’un peuple, une province, une ville, une bourgade peuvent et doivent trouver, dans les seules ressources nées des traditions, tous les éléments d’une fête qui soit pleinement en harmonie avec son âme. « Ici, vous ne relèverez aucune fausse note. C’est à dessein que nous avons exclu les forains, leurs tirs, leurs balançoires et leurs manèges aux musiques affolantes, pour ne laisser place qu’aux binious, aux danses qui ont dans cette région un si grand caractère, au concours de costumes et de chants bretons, et surtout aux luttes armoricaines, toujours en honneur. « Pour ces luttes, qui donnent lieu à un spectacle splendide au point de vue plastique, nous avons réuni les champions de Fouesnant, de Scaër et de tous les coins de Bretagne. Voyez-les en action. Ne sont-ils pas superbes ? « Voilà comment nous désirerions toutes nos fêtes. « Mais notre action, croyez-le, ne se limite point à notre petite patrie ; elle s’étend à toute la France. Nous voulons arriver à ce que toutes nos provinces, riches d’un patrimoine artistique incomparable, bannissent impitoyablement ceux que j’appellerai les « mercantis de l’art » et défendent leurs traditions et leur passé contre l’ignorance ou le mauvais goût de ces organisateurs néfastes ! »
Ainsi parla Jean-Julien Lemordant, et, en écoutant sa parole chaude et vibrante, je compris qu’à la réalisation de l’oeuvre d’assainissement qu’il a entreprise le grand artiste avait mis tout son coeur généreux et si magnifiquement français. Et j’eus l’impression que, si de ses pauvres yeux éteints Lemordant ne pouvait, hélas ! voir ce spectacle gracieux et pittoresque dont il était « l’animateur », il le contemplait, malgré tout, en apôtre satisfait de la tâche accomplie, avec les yeux de son âme, toujours flamboyants.
René Bastien – Les Belles Chansons de France, N° 9 – Septembre 1923