Quand le monde autour de toi aura tant changé Que toutes ces choses que tu frôlais sans danger Seront toutes si lourdes à bouger Seront toutes des objets étrangers Où l’a-t-on rangé Ce bout de verger Avec ses fleurs grimpantes Sa lumière en pente Couleur de dragée Quand le monde autour de toi sera mélangé Que le drap de ta chambre dans l’ombre restera plongé Que viendra la nuit aux pourpres orangés Et sans rien de plus peut-être pour te protéger Où l’a-t-on rangé Ce bout de verger Avec sa glycine Comme une racine Dans la terre plongée Jardin des délices Tourne comme une hélice Dans le fond du crâne Tourne comme une hélice.
Gérard Manset – Album le Jardin des Délices, 2006.
Eh oui, cher Gérard, va falloir que tu te fasse une raison ! Ça ne sera jamais plus comme avant. Le grand coït poétique et romantique en plein vol est passé de mode… Au grand dam des bourdons, les Reines sont devenues terre-à-terre et se contentent trop souvent de n’être que des butineuses…
Gérard Manset (album À bord du Blossom, 2018)
Pourquoi les femmes
Pourquoi les femmes sont-elles devenues méchantes ? C’est qu’à la fois les hommes se sont tus. C’est bien la poésie qu’on tue Sur une route en pente. Mais nous voulions déjà des chemins inconnus De ces brûlures possibles que l’on touche à mains nues. La main serrée De tout ce qui entre nos bras devait être serré, Serré, serré, serré, serré…
Nous pouvions à l’époque croiser des ingénues Dont les cheveux au vent et dont les genoux riaient de ces désordres. De ces jeux, de ces lèvres fallait m’en remettre. Pourquoi les femmes sont-elles devenues méchantes ? C’est qu’autour d’elles personne ne s’en soucie. Ou bien tout le monde fait comme si, Oublie ces entrejambes si gentiment Serrés, serrés…
Alors l’enfant leur dit de ne pas s’égarer. Chaque chose a sa loi. La moindre abeille se doit à son bourdon Comme l’aiguille tourne à la montre du temps. Que l’été, le printemps, Que l’hiver, que l’hiver De son œil de verre voit la même saison, Attend floraison comme la mer son… Mésange s’envolait pour construire sa maison Pour construire…
Pourquoi les femmes sont-elles devenues cruelles ? Comment cette brassée d’orties finira t’elle ? Qui pique, envahit tout, Qu’aucun produit ne tue. Dis-moi petit enfant qui passe le comprends-tu ? Pourquoi de cet ancien sourire au monde Faire la grimace ?
Tandis que de partout les poings se serrent, se serrent, se serrent, Alors l’enfant répond : en la nature l’abeille respecte le bourdon. Les abeilles font de même Et tous les cigalons Jusqu’au petit garçon qui vient dire à sa mère : Ce que tu fais est mal ! Mon père n’est pas un animal. L’équilibre s’installe sur notre tartine Comme un peu de miel Que les jours t’illuminent.
Pourquoi les femmes sont-elles devenues méchantes ? Et l’on découvre un homme seul sur un banc. Il n’a pour tout refuge que son caban. On lui jette des miettes, détourne le regard. Se souvient-il de ce qu’il fut dans un lointain passé Touché, connu ? Le monde a des paradis antiques. Les amours évoluent. Que de ses deux paumes, Il maintenait serrées, serrées, il maintenait…
Avec le maître nous apprenions À user du bonheur, Quand quelqu’un dans la classe a demandé : Pourquoi les femmes sont-elles devenues dévergondées ? Qu’à la fois les hommes se sont tus ? Et puis ce maître que nous adorions A dû s’agenouiller, a dû s’agenouiller… Dans la cour, dans la cour au-delà du préau Agonisait le dernier marronnier Que les cimes fendre, fendre, que les cimes défendre.
Il a bien sûr fallu que je m’étende Tout bourdonnait dans mes oreilles et j’ai fermé les yeux… Pourquoi avant était-ce à ce point merveilleux ? Les femmes, il fallait encercler Comme ces petits poissons dans dans l’eau de nos petits filets, Les ramener vers le bord, auxquels nous parlions. Que dissimulait l’arrière, que dissimulait l’arrière d’un galion La foule ou d’autres choses… Mais tout était doux, tout était rose. Pourquoi les femmes sont devenues tout autre chose ? Et qu’avec elles le reste s’est asséché Dans le fond de nos verres, dans le fond de nos verres…
Pourquoi les femmes sont devenues d’autres choses ? Tout autre chose… D’autres choses…
Gérard Manset – La neige est blanche – Album : Royaume de Siam (1979)
La Neige est Blanche
A force de se regarder, Ne pas comprendre, ne pas s’aimer, Vraiment, le temps nous est compté, Vraiment, le temps nous est compté.
Alors, puisque le mal est fait Que le trou grandit, le lit défait, Chacun se regarde, chacun se tait, Chacun se regarde, chacun se tait.
C’est un homme dont le corps se penche. Comme un arbre mort, il tend ses branches Mais le froid est là, la neige est blanche, Mais le froid est là, la neige est blanche, La neige est blanche.
Il s’en va demain, continue sa route. Tout le long de son chemin, chaque pas lui coûte Pour se détacher de toi, coûte que coûte, Pour se détacher de toi, coûte que coûte.
C’est un homme dont le corps se penche. Comme un arbre mort, il tend les branches Mais le froid est là, la neige est blanche, Mais le froid est là, la neige est blanche, La neige est blanche.
Toi qui nous quitte pour ce pays là Où tu dis que les gens sont beaux, Que veux-tu de plus que tu n’as pas, Que veux-tu de plus que tu n’as pas ?
C’est un homme dont le corps se penche. Comme un arbre mort, il tend ses branches Mais le froid est là, la neige est blanche, Mais le froid est là, la neige est blanche, La neige est blanche.
Chanson produite par Gérard Manset en 1968, elle sortira de nouveau en 2011, interprétée par dEUS, un groupe de rock belge expérimental originaire d’Anvers formé en 1991. Clip monté par Obok Manitoba.
Animal
Animal, on est mal On a le dos couvert d’écailles On sent la paille Dans la faille Et quand on ouvre la porte Un armée de cloportes Vous repousse en criant « Ici, pas de serpent! »
Animal, on est mal. Animal, on est mal. Animal, on est mal.
On a deux cornes placées Sur le devant du nez. On s’abaisse. On s’affaisse. On a la queue qui frise. On a la peau épaisse. On a la peau grise Et quand on veut sortir Avec une demoiselle, On l’invite à dîner. Quand elle vous voit, Que dit-elle ? Il ne vous manque qu’une bosse. Vade retro, rhinocéros! »
Animal, on est mal Animal, on est mal Animal, on est mal
On assiste à l’opération de la girafe. La voilà qui se retrouve le cou plein d’agrafes. Elle appelle au secours On veut lui mettre un pantalon Mais il est trop court
Paris en noir et blanc, les 2ch, les dauphines, Les films de Godard, Brigitte Bardot, Jean-Pierre Léaud, Marina Vlady, Anne Wiazemsky, la touchante Jean Seberg, Belmondo, Jean Ferrat, la délicieuse Anna Karina, Macha Meryl, les disques vinyl, les postes de télévision minuscules en noir et blanc avec une seule chaîne, Le temps où nous avions du temps… Le temps de la simplicité, de la sérénité et de l’innocence… La vie, l’amour, la mort… Tous ces souvenirs s’emboîtent comme dans un lego, mais qui demeurera pour toujours incomplet car nous avons égaré de nombreuses pièces… Merci pour ce clip, Obok Manitoba
Comme Un Lego
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Crédit : clip Obok Manitoba
Pour la version originale de cette chanson chantée par Gérard Manset, lire l’article « Présents, ils sont absents », c’estICI
C’est le titre du chapitre premier d’un livre du philosophe François Jullien sur le thème de la « philosophie du vivre » (folio essais, Gallimard, 2011, 2015). Ce titre s’applique aux touristes et à tous ceux qui sont physiquement dans un lieu dans lequel ils ont choisi d’être parce qu’ils le valorisent ou bien que la société valorise mais qui paradoxalement entretiennent avec ce lieu une relation d’évitement en refusant de reconnaître sa réalité profonde et ses potentialités cachées. Voici ce que François Jullien écrit à ce sujet :
L’évitement du monde Cette scène, nous l’avons tous vue, typée, fatale, imperturbablement répétée. Mais suffira-t-il d’en sourire ? Les touristes descendent de l’autocar, repèrent d’un coup d’œil ce qu’ils pourront photographier, le mettre en boîte – c’est fait. puis ils s’exclament, respirent, bavardent entre eux : « que c’est beau ! » « Beau » est posé là comme une étiquette sur un paquet – façon de s’en débarrasser. Ils n’ont plus qu’à remonter à leur place : à rentrer soulagés. Ils ont tout fait, en somme, pour se dispenser d’être présents au paysage, passer, mais avec la meilleure volonté du monde, prudemment à côté. Le soupçonnent-ils seulement ? Pour s’épargner l’existence dramatique d’être là, effectivement, regardant et regardant encore – mais s’agit-il seulement de « regarder » ? Plutôt de se laisser saisir – démunir – par ce sur quoi ils sont tombés et qui soudain les accable sous son miracle et pourrait les tenir en suspens, interminablement;, jusqu’au vertige, sans pouvoir s’arracher.
La photographie comme symptôme de la fuite devant la réalité On dira bien sûr que cette photographie est prise pour « garder » (se ressouvenir : on la retrouvera plus tard, etc.). (…) Mais garder, vouloir conserver , c’est déjà se protéger devant ce qui soudain assaille, tel ce coin de paysage, et qui, si je m’arrête tant soit peu devant, au lieu de commencer ainsi à le ranger, sitôt m’ébranle, m’émeut jusqu’à l’intolérable. Et de même : être attentif à bien choisir, à bien cadre, s’est se détourner d’emblée de ce que le moindre coin de paysage possède en lui d’infini. donc d’impossible à contenir, à sélectionner. Prendre une photographie, c’est de mettre à couvert, interposer : sed échanger de ce qui, comme une échancrure, s’entrevoit sur le coup d’irréductible et s’impose enfin là, à vue, sans retenue. Face à quoi on photographie pour fuir, c’est-à-dire s’éviter d’« être là », – da sein – une fois, cette fois, qui est unique, devant cet arbre, devant ce champ. Ou plutôt devant « de l’arbre », « du champ ». on photographiera alors pour remettre de l’usage, rebasculer dans l’entendu, le convenu, et boucher de son mieux par où la panique de la rencontre, du heurt, pourrait pointer : pour ne plus s’exposer à ce péril, effectivement, celui d’être auprès, devant, « pré(s)net », ici et maintenant (ou, quand on photographie des visages, l’effet nous en échappe). La photographie – « photo-souvenir » – est l’instrument apprêté pour ce évitement. Sauf à produire une œuvre d’art – mais celle-ci vise alors l’inverse, en quoi elle est « art » non consommable –, cette « prise » de vue sert de paravent pour amortir ce choc et son désarroi : pour réduire l’intrusion d’un dehors, l’effraction d’un présent; pour rétablir ce glissement continu tel qu’intérieur et extérieur – le « moi » / le « monde » – restent à nouveau chacun de leur côté, sagement, dans leur quant-à-soi respectif, avec un minimum d’étanchéité, sans plus déranger.
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Gérard Manset, » Comme un Lego «
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article lié
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– le jardin zen du temple Ryôan-Ji de Kyoto : le regard vu par Italo Calvino dans son roman Palomar –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
L’enceinte rectangulaire de sable incolore est bordé sur trois côtés de murs surmontés de tuiles, au-delà desquels verdoient les arbres. Sur le quatrième côté, une estrade aux gradins de bois sur laquelle le public peut passer, s’arrêter et s’asseoir. « Si notre regard intérieur reste absorbé par la vue de ce jardin, explique en japonais et en anglais le prospectus, signé par l’abbé du temple, qui est offert aux visiteurs, nous nous sentirons dépouillés de la relativité de notre moi individuel, tandis que l’intuition du Moi absolu nous remplira d’un étonnement serein, en priaient nos esprits obscurcis. »