la célèbre chanson de Léo Ferré interprétée magnifiquement par Angelique Ionatos
Cette blessure Où meurt la mer comme un chagrin de chair Où va la vie germer dans le désert Qui fait de sang la blancheur des berceaux Qui se referme au marbre du tombeau Cette blessure d’où je viens
Cette blessure Où va ma lèvre à l’aube de l’amour Où bat ta fièvre un peu comme un tambour D’où part ta vigne en y pressant des doigts D’où vient le cri le même chaque fois Cette blessure d’où tu viens
Cette blessure Qui se referme à l’orée de l’ennui Comme une cicatrice de la nuit Et qui n’en finit pas de se rouvrir Sous des larmes qu’affirme le désir
Cette blessure Comme un soleil sur la mélancolie Comme un jardin qu’on n’ouvre que la nuit Comme un parfum qui traîne à la marée Comme un sourire sur ma destinée Cette blessure d’où je viens
Cette blessure Drapée de soie sous son triangle noir Où vont des géomètres de hasard Bâtir de rien des chagrins assistés En y creusant parfois pour le péché Cette blessure d’où tu viens
Cette blessure Qu’on voudrait coudre au milieu du désir Comme une couture sur le plaisir Qu’on voudrait voir se fermer à jamais Comme une porte ouverte sur la mort
Les japonais derrière la vitre du métro à Tokyo – photographe Michael Wolf Léo Ferré – La solitude
À qui s’adresse ce doigt d’honneur ? À la société ? Au système qui génère cette aliénation et qui en porte la responsabilité ? Non, absolument pas ! ce doigt d’honneur s’adresse au photographe qui est témoin de cette misère humaine et de la passivité apparente de ceux qui en sont les victimes désignées et résignées… A-t-on déjà vu les voyageurs japonais se révolter contre cette forfaiture ? manifester dans les gares, bloquer les trains ? À ma connaissance, jamais. L’agressivité se retourne contre le témoin qui a le tort de mettre au grand jour cet abaissement que l’on voudrait dissimuler parce qu’il fait honte. Ces clichés du photographe Michael Wolf m’ont touché car, durant de nombreuses années, j’ai moi-même connu, à un degré nettement moindre, il est vrai, les transports quotidiens entre une lointaine banlieue nord et le centre de Paris, dans des wagons de train et de métro bondés où l’on ressentait, mêlé à un profond sentiment de solitude, une exaspération croissante alors que l’on se voyait réduit à n’être qu’une portion de la masse compacte composée d’êtres résignés aux yeux éteints qui évitaient de croiser votre regard.
J’ai un jour débarqué à Ostende en provenance de je ne sais plus quel port de la côte Est de l’Angleterre, pour me rendre à Amsterdam. C’était un jour de vent et de brume et je n’ai pas perçu que se tenait là une ville. Elle avait disparue comme engloutie par la brume et la mer. Aujourd’hui, après avoir écouté la chanson « Comme à Ostende » mise en musique par Léo Ferré sur des paroles de Caussimon, avoir lu des textes de Patrick Devaux (Les mouettes d’Ostende), des poèmes d’Emile Verhaeren, de Hugo Klaus et de Harmel et après avoir appris que le chanteur Marvin Gaye y avait séjourné plus d’une année, j’éprouve curieusement le désir fervent d’y retourner comme si il y avait nécessité absolue de «réparer» une offense ou une injustice.
Ostende
Mes pas n’ont jamais foulé le sable gris de tes plages. Je n’ai laissé aucunes traces qu’effaceraient les vagues, alors je me projette et t’imagine. Étrange ville de finitude qui voit s’échouer la terre et la mer. Ville des commencements aussi, au carrefour de tous les infinis, de toutes les amères solitudes. Ville sans cesse baignée et peignée du flux mouvant des éléments ; eau, ciel, temps, masses humaines, et parfois, et c’est un grand bonheur, par la généreuse lumière du Nord pure, claire et immensément joyeuse. C’est aussi la ville où férocement rugit un vent dément, où les mouettes ne rient pas mais hurlent contre le vent. Ville intemporelle bizarrement belle de sa trop grande laideur où l’on croise parfois quelques spectres du passé qui jouent aux bien vivants… Ville floue et grise de l’entre-deux aux vagues limites faites de sable, d’écume, de vent et de lourds nuages où s’échouent et s’entremêlent les épaves et les naufragés de toutes les mers, de toutes les terres, de toutes les vies.
°°° 20 août 2017 °°°
la plage d’Ostende avec le casino Kursall en arrière-plan
« Comme à Ostende » est une chanson mise en musique par Léo Ferré sur des paroles de Jean-Roger Caussimon avec un arrangement de Jean-Michel Defaye. Elle a été interprétée pour la première fois par Léo Ferré à l’hiver 1960 à l’occasion de la sortie de son album « Paname ». Caussimon l’interprètera à son tour en 1970, année où il commence une carrière de chanteur. La collaboration de Léo Ferré avec Jean-Roger Caussimon remonte à la fin des années 1940, avec la méconnue « À la Seine » et le désormais classique « Monsieur William » (1950-53). Elle se poursuit en 1957 avec toutes une brassée de chansons (« Mon Sébasto », « Mon Camarade », « Les Indifférentes » et « Le Temps du tango », cette dernière devenant un succès).
Ostende, entrée du port (photochrome)
« Comme à Ostende », Paroles de Jean-Roger Caussimon, musique de Léo Ferré
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« Comme à Ostende », interprétée par Léo Ferré en 1960
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« Comme à Ostende », interprété par Jean-Roger Caussimon en 1970
Comme à Ostende
On voyait les chevaux d’ la mer Qui fonçaient, la têt’ la première Et qui fracassaient leur crinière Devant le casino désert…
La barmaid avait dix-huit ans Et moi qui suis vieux comm’ l’hiver Au lieu d’ me noyer dans un verre Je m’ suis baladé dans l’ printemps De ses yeux taillés en amande Ni gris, ni verts Ni gris, ni verts Comme à Ostende Et comm’ partout Quand sur la ville Tombe la pluie Et qu’on s’ demande Si c’est utile Et puis surtout Si ça vaut l’ coup Si ça vaut l’ coup D’ vivre sa vie !…
J’ suis parti vers ma destinée On est allé, bras d’ ssus, bras d’ssous Mais voilà qu’une odeur de bière Dans l’ quartier où y’a des vitrines De frite(s) et de moul’s marinières Remplies de présenc’s féminines M’attir’ dans un estaminet… Qu’on veut s’ payer quand on est soûl. Là y’avait des typ’s qui buvaient Mais voilà qu’ tout au bout d’ la rue Des rigolos, des tout rougeauds Est arrivé un limonaire Qui s’esclaffaient, qui parlaient haut Avec un vieil air du tonnerre Et la bière, on vous la servait À vous fair’ chialer tant et plus Bien avant qu’on en redemande… Si bien que tous les gars d’ la bande Oui, ça pleuvait Se sont perdus Oui, ça pleuvait Se sont perdus Comme à Ostende Comme à Ostende Et comm’ partout Et comm’ partout Quand sur la ville Quand sur la ville Tombe la pluie Tombe la pluie Et qu’on s’ demande Et qu’on s’ demande Si c’est utile Si c’est utile Et puis surtout Et puis surtout Si ça vaut l’ coup Si ça vaut l’ coup Si ça vaut l’ coup Si ça vaut l’ coup D’ vivre sa vie !… D’ vivre sa vie !…
Ostende, la plage et le casino Kursaal (photochrome)
le port d’Ostende
Sur la plage d’Ostende devant le casino Kursall
poème « Ostende » de l’écrivain flamand Hugo Claus (1929-2008)
C’est là que mon existence commença à tomber en déliquescence. J’avais dix-neuf ans, je dormais à l’Hôtel de Londres, sous les combles. Le paquebot passait sous ma fenêtre. Chaque nuit la ville s’abandonnait aux vagues.
J’avais dix-neuf ans, je jouais aux cartes avec les pêcheurs qui rentraient d’Islande. Ils venaient du grand froid, les oreilles et les cils pleins de sel, et mordaient dans des quartiers de porc cru. Ah, le cliquetis des dés. En ce temps de vogelpik et de poker, j’étais toujours gagnant.
Ensuite, à l’aube, j’allais longeant la cathédrale, cette chimère de pierre et de peur, longeant la digue déserte, le Kursaal. Les cafés de nuit avec leur croupiers aux yeux caves, les banquiers ruinés, les anglaises poitrinaires en montant de la nappe turquoise de la mer les cris cruels des mouettes.
« Entre donc, monsieur le vent », crie gaiement un enfant et sur Ostende souffle un nuage de sable venant de l’invisible vis à vis la brumeuse Angleterre, et du Sahara.
Longeant les façades des pharmaciens qui vendaient en ce temps là des condoms en murmurant, longeant l’estacade et les brise-lames, la minque et ses monstres marins, l’hippodrome où je cessai un dimanche de gagner.
Dimanches qui allaient et venaient. Nuits à l’Hôtel des Thermes où je m’effrayais de ses gémissements, de ses soupirs, de son chant. Sa voix continue à hanter mes souvenirs.
J’ai connu d’autres Îles, mers, déserts, Istanbul, ce château en Espagne, Chieng-Maï et ses mines terrestres, Zanzibar dans la chaleur de la cannelle, la lente lenteur du Tage. Ils disparaissent sans cesse.
Plus nettement dans la lumière du Nord je vois le visage enfantin du Maître d’Ostende caché dans sa barbe. Il était de cartilage, puis il fut de cire, aujourd’hui de bronze. Le bronze où il sourit à la pensée de sa jeunesse raide morte.
(traduit du néérlandais par Vincent Marnix, Castor Astral,1999)
Au fait, savez-vous que Marvin Gaye, après tant d’autres célébrités, est venu s’amarrer lui aussi un temps à la cité balnéaire de la mer du Nord. À l’orée des années 1970, le chanteur frôle la dépression suite à ses ennuis avec le fisc américain et son divorce coûteux avec Anna Gordy, la sœur de son manager Berry Gordy. Il s’exile à Londres où il mène une vie dissolue et sombre dans la drogue. C’est là qu’il rencontre un hôtelier d’Ostende, Freddy Cousaert avec lequel il se lie d’amitié. Parti à Ostende pour un séjour de quelques jours avec son fils Bubby, il y restera un an et demi, menant une vie saine et sportive, le temps de se refaire une santé et produire un tube planétaire, le célèbre « Sexual Healing ». Malheureusement, de retour aux États-Unis, il renoue avec ses démons, tombe en dépression et au bout du rouleau retourne vivre chez ses parents. C’est là, en 1984, qu’au cours d’une violente dispute son père l’abattra à coups de revolver.
On s’aimera On s’aimera ce printemps Pour un quignon de soleil Quand les soucis guignols Qui s’étire pareil Dansent le french cancan Au feu d’un feu de bois Au son du rossignol On s’aimera Quand le chignon d’hiver Pour des feuilles mourant De la terre endormie Sous l’oeil indifférent Se défait pour refaire De monseigneur le froid L’amour avec la vie
On s’aimera cet automne On s’aimera Quand ça fume que du blond Pour un tapis tout vert Quand sonne à la Sorbonne Où comme les filles de l’air L’heure de la leçon Les abeilles vont jouer Quand les oiseaux frileux On s’aimera Se prennent par la taille Pour ces bourgeons d’amour Et qu’il fait encore bleu Qui allongent aux beaux jours Dans le ciel en bataille Les bras de la forêt
On s’aimera cet hiver On s’aimera cet été Quand la terre est peignée Quand la mer est partie Quand s’est tu le concert Quand le sable est tout prêt Des oiseaux envolés Pour qu’on s’y crucifie Quand le ciel est si bas Quand l’oeil jaune du ciel Qu’on le croit au rez-de-chaussée Nous regarde et que c’est bon Et que le temps des lilas Et qu’il coule du miel N’est pas prêt d’être chanté De ses larmes de plomb
On s’aimera On s’aimera Pour un manteau pelé Pour une vague bleue Par les ciseaux gelés Qui fait tout ce qu’on veut Du tailleur des frimas Qui marche sur le dos On s’aimera On s’aimera Pour la boule de gui Pour les sel et le pré Que l’an neuf à minuit De la plage râpée A roulée sous nos pas Où dorment des corbeaux
Où dorment des corbeaux
Léo Ferré et sa seconde épouse Madeleine (photo J.P. Sudre) Quelques années plus tard, en 1968, les corbeaux de la plage s’étaient réveillés…
« On s’aimera » a sans doute été dédiée à Madeleine Rabereau, la deuxième épouse et muse du chanteur avec laquelle il a vécu entre 1950 et 1968. Voici ce que déclare la fille de celle-ci Annie Butor, à propose de Léo Ferré : « Il n’avait rien du poète éthéré. Il était susceptible, procédurier, râleur, âpre au gain (mais aussi très généreux). Et il avait la dent dure : « Tous des cons ! » sauf Catherine Sauvage, Caussimon, Aragon, Elsa Triolet, Breton… (…) D’autres, Gréco, Montand, Roland Petit, Ionesco, Buñuel… sont encore plus mal lotis. Quant à Brel, Léo ricanait sur son « je t’offrirai des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas ». Cela ne veut rien dire ! éructait-il. La fameuse photo réunissant Brel, Brassens et Ferré, en 1969, relève plus du symbole d’une époque que de réelles amitiés. »
Titre extrait de l’album Avec le Temps – Les chansons d’amour, 2004 – Label Barclay
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Cette blessure Où meurt la mer comme un chagrin de chair Où va la vie germer dans le désert Qui fait de sang la blancheur des berceaux Qui se referme au marbre du tombeau Cette blessure d’où je viens
Cette blessure Où va ma lèvre à l’aube de l’amour Où bat ta fièvre un peu comme un tambour D’où part ta vigne en y pressant des doigts D’où vient le cri le même chaque fois Cette blessure d’où tu viens
Cette blessure Qui se referme à l’orée de l’ennui Comme une cicatrice de la nuit Et qui n’en finit pas de se rouvrir Sous des larmes qu’affile le désir
Cette blessure Comme un soleil sur la mélancolie Comme un jardin qu’on n’ouvre que la nuit Comme un parfum qui traîne à la marée Comme un sourire sur ma destinée Cette blessure d’où je viens
Cette blessure Drapée de soie sous son triangle noir Où vont des géomètres de hasard Bâtir de rien des chagrins assistés En y creusant parfois pour le péché Cette blessure d’où tu viens
Cette blessure Qu’on voudrait coudre au milieu du désir Comme une couture sur le plaisir Qu’on voudrait voir se fermer à jamais Comme une porte ouverte sur la mort
Nights in White Satin est une chanson du groupe de rock britannique formé à Birmingham The Moody Blues, sorti en single le 10 novembre 1967. Dès janvier 1968, il connait un succès honorable en Grande-Bretagne où Il s’écoule alors à 20.000 exemplaires journaliers et reste onze semaines dans le classement du hit-parade britannique. Le single rencontre un succès encore plus important en France ( 516.000 exemplaires vendus) où il devient le 100e single le plus vendu des années 1960 et aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse. Son succès sera moindre en Allemagne, en Italie et hors d’Europe. Aux États-Unis, il n’obtient pas le succès escompté mais il refait soudainement son apparition en 1972 dans les hit-parades américains en se vendant beaucoup plus que lors de sa première parution en single. Finalement, Nights in White Satinpasse sur la plupart des stations de radio américaines et devient alors un tube national. Son nouveau succès se diffuse alors au Canada et en Grande-Bretagne où il fait mieux qu’au moment de son lancement en 1967.
Nights in white satin, And I love you, Never reaching the end, Yes, I love you, Letters Ive written, Oh, how, I love you. Never meaning to send. Oh, how, I love you.
Beauty Id always missed Nights in white satin, With these eyes before, Never reaching the end, Just what the truth is Letters Ive written, I cant say anymore. Never meaning to send.
‘Cause I love you, Beauty I’ve always missed Yes, I love you, With these eyes before, Oh, how, I love you. Just what the truth is Oh, how, I love you. I cant say anymore.
Gazing at people, ’cause I love you, Some hand in hand, Yes, I love you, Just what Im going thru Oh, how, I love you. They can understand. Oh, how, I love you.
Some try to tell me ’cause I love you, Thoughts they cannot defend, Yes, I love you, Just what you want to be Oh, how, I love you. You will be in the end, Oh, how, I love you.
C’est extra est une chanson érotique de Léo Ferré, parue sur le 33 tours L’Été 68 et sur 45 tours en 1969 qui a été l’un de ses plus gros succès commerciaux. La légende veut qu’il aurait eu l’idée de cette chanson en voiture, entre deux concerts, en écoutant Nights in White Satin des Moody Blues sur son autoradio. Il fait d’ailleurs directement référence à ce groupe et à cette chanson dans le corps du texte, respectivement dans la première et dans la quatrième strophe. L’expression « c’est extra » proviendrait du fait que sa petite nièce la sortait à tout propos. Mais une autre version de la naissance de la chanson est donnée par Daniel Ichbiah dans son livre « 50 ans de chansons française » : En 1968, Léo Ferré aurait été fasciné par la vision d’une fille qui dansait lors d’un concert des Moody Blues. Cette vision lui aurait alors donné l’idée d’écrire C’est extra. Pour la mettre en musique, il s’en serait remis à son orchestrateur et complice de toujours, Jean-Michel Defaye avec cette requête : « Compose moi quelque chose dans le style des Moody Blues, tu sais « Nights in white satin »… A partir du disque de ce groupe anglais qui lui a été prêté par l’un de ses voisins auteur-compositeur, Pierre Saka, Defaye tente de comprendre comment fonctionne cette musique qui mêle des violons à l’atmosphère d’un groupe pop. C’est ainsi que serait né la chanson qui va lui faire retrouver les faveurs du public. Il va bientôt se faire pousser les cheveux et se produira sur scène en compagnie d’un groupe français de rock.
Une robe de cuir comme un fuseau Qu’aurait du chien sans l’faire exprès Et dedans comme un matelot Une fille qui tangue un air anglais C’est extra Les Moody Blues qui chante la nuit Comme un satin de blanc marié Et dans le port de cette nuit Une fille qui tangue et vient mouiller
C’est extra, c’est extra C’est extra, c’est extra
Des cheveux qui tombent comme le soir Et d’la musique en bas des reins Ce jazz qui d’jazze dans le noir Et ce mal qui nous fait du bien C’est extra Des mains qui jouent de l’arc-en-ciel Sur la guitare de la vie Et puis ces cris qui montent au ciel Comme une cigarette qui brille
C’est extra, c’est extra C’est extra, c’est extra
Ces bas qui tiennent hauts perchés Comme les cordes d’un violon Et cette chair que vient mouiller L’archet qui coule ma chanson C’est extra Et sous le voile à peine clos Cette touffe de noir jésus Qui ruisselle dans son berceau Comme un nageur qu’on n’attend plus
C’est extra, c’est extra C’est extra, c’est extra
Une robe de cuir comme un oubli Qu’aurait du chien sans l’faire exprès Et dedans comme un matin gris Une fille qui tangue et qui se tait C’est extra Les Moody Blues qui s’en balancent Cet ampli qui n’veut plus rien dire Et dans la musique du silence Une fille qui tangue et vient mourir
Mon oncle Jean, footballeur amateur sur le terrain de sport situé devant l’école Volembert à Argenteuil, vers 1940.
Lorsque j’ai montré cette photo à ma sœur Eliane, elle m’a raconté que l’un des joueurs de football avec lequel mon oncle s’entraînait à l’époque s’appelait Rino della Negra, lui aussi fils d’immigrés italiens, arrivé en France en 1926 à l’âge de 3 ans. La famille Della Negra habitait à Argenteuil, dans le quartier de Mazagran, la même rue que mes grands parents.
Ce nom Rino della Negra me disait quelque chose… Effectuant des recherches, je découvris qu’il était l’un des résistants fusillés par les nazis au mont Valérien le 21 février 1944 avec les 10 résistants mis en scène par l’Affiche rouge dont Aragon a fait un poème et que Léo Ferré a mis en musique et interprété.
Rino della Negra, footballeur au Red Star
A l’âge de 14 ans, Rino travaille aux usines Chausson d’Asnières et entre au club de football du Red Star où il sera considéré comme un joueur exceptionnel. En février 1943, sous l’occupation, comme des milliers de jeunes français, Rino reçoit l’ordre de partir en Allemagne dans le cadre du STO (Service du Travail Obligatoire). Pour y échapper, il se cache puis s’engage dans la résistance au sein de la section Main d’œuvre Immigrée des Francs Tireurs et Partisans du 3ème détachement italien des FTP-MOI commandé par Missak Manouchian. Aux côtés de Hongrois, d’Arméniens, d’Italiens, Rino Della Negra participe à plusieurs actions militaires contre l’armée occupante.
Le 7 juin 1943 il participe à l’exécution du général Von Apt au 4 rue Maspéro
Le 10 juin 1943 attaque du siège central du parti fasciste italien, rue Sédillot
Le 23 juin 1943 attaque de la caserne Guynemer à Rueil-Malmaison.
le 12 novembre 1943, au 56 rue La Fayette il attaque avec Robert Witchitz des convoyeurs de fonds allemands, mais c’est un échec, Rino blessé et Robert sont arrêtés.
A partir de ce jour, le groupe est peu à peu démantelé par les services collaborationnistes français de la Brigade Spéciale 2 et la Gestapo
Le 13 novembre 1943 Spartaco Fontano et Roger Rouxel sont arrêtés par Brigade Spéciale 2 des Renseignements généraux.
Le 15 novembre Missak Manouchian et Joseph Epstein tombent entre les mains de la BS2 en gare d’Évry-Petit-Bourg
Le 16 novembre Olga Bancic et Marcel Rajman sont également capturés.
Au total dix-sept résistants MOI seront appréhendés par la Brigade Spéciale 2. Après un procès qui se déroule devant le tribunal militaire allemand du Grand-Paris du 17 au 21 février 1944. Les 23 membres communistes du réseau Manouchian (dont 20 étrangers : espagnols, italiens, arméniens et juifs d’Europe centrale et de l’est) sont condamnés à mort. 22 seront fusillés au fort du mont Valérien le 21 février 1944 y compris Rino della Negra. Olga Bancic, la seule femme du groupe, sera décapitée le 10 mai.
L’affiche rouge
Dix des fusillés figureront sur une affiche rouge réalisée par les services de propagande allemands et le régime de Vichy et imprimée à 15.000 exemplaires qui seront placardés à Paris et dans certaines villes de en France.
L’image est organisée en trois parties. Barrant le haut et le bas de l’affiche, la question et la réponse Des libérateurs? La libération par l’armée du crime ! délivrent explicitement le message que veulent faire passer ses auteurs. A l’intérieur d’un triangle rouge, figurent les photos, les noms, les origines et les actions menées par dix résistants du groupe Manouchian (Grzywacz – Juif polonais, 2 attentats, Elek – Juif hongrois, 8 déraillements, Wasjbrot – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements, Witchitz – Juif polonais, 15 attentats , Fingerweig – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements, Boczov – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats , Fontanot – Communiste italien, 12 attentats, Alfonso – Espagnol rouge, 7 attentats, Rayman – Juif polonais, 13 attentats, Manouchian – Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés). Six photos (attentats, armes ou destructions) représentent enfin la menace qu’ils constituent à travers certains des attentats qui leur sont reprochées. (auteur : Alexandre Sumpf)
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––– la lettre d’adieu de Michel Manouchian –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Missak Manouchain responsable des FTP-MOI de Paris (été 1943), est né le 1er septembre 1906 dans une famille de paysans arméniens du petit village d’Adyaman, en Turquie. Il a huit ans lorsque son père trouvera la mort au cours d’un massacre par des militaires turcs. Sa mère mourra de maladie, aggravée par la famine qui frappait la population arménienne. Agé de neuf ans, témoin de ces atrocités qu’on qualifie aujourd’hui de génocide par référence à celui des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale Missak Manouchian en restera marqué pour la vie. De nature renfermée, il deviendra encore plus taciturne ce qui le conduira, vers l’âge de douze ou treize ans, à exprimer ses états d’âme en vers : « Un charmant petit enfant /A songé toute une nuit durant/ Qu’il fera à l’aube pourpre et douce / Des bouquets de roses« . Recueilli comme des centaines d’autres orphelins par une institution chrétienne après avoir été hébergé dans une famille kurde, Missak gardera toujours le souvenir du martyre arménien mais aussi de la gentillesse des familles kurdes. Arrivé en 1924 avec son jeune frère à Marseille, Missak apprendra la menuiserie et s’adonnera à des métiers de circonstance. Il consacrera les journées de chômage aux études, fréquentant les « universités ouvrières » créées par les syndicats ouvriers (CGT). Il fonde successivement deux revues littéraires, Tchank (Effort) puis Machagouyt (Culture). Dès 1937, on le trouvera en même temps à la tête du Comité de secours à l’Arménie, et rédacteur de son journal, Zangou (nom d’un fleuve en Arménie).
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Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense.
Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
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–––– le poème d’Aragon –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Exécution de Celestino Alfonso, Wolf Josef Boczor, Emeric Glasz et Marcel Rajman – photo prise par un soldat allemand
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L’affiche rouge
Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes Ni l’orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servis simplement de vos armes La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L’affiche qui semblait une tache de sang Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents Tout avait la couleur uniforme du givre A la fin février pour vos derniers moments Et c’est alors que l’un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le coeur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant
Aragon, 1955
Ce poème a été d’abord publié sous le titre Groupe Manouchian dans le journal communiste L’Humanité, à l’occasion de l’inauguration de la « rue du Groupe-Manouchian », située dans le 20e arrondissement de Paris. Pour écrire ce poème, Louis Aragon s’est inspiré de la dernière lettre écrite par Missak Manouchian, le chef du groupe, à sa femme avant d’être fusillé d’une balle entre les deux yeux, ainsi que de l’affiche rouge placardée par les nazis afin d’annoncer l’exécution des membres du groupe Manouchian. Constitué de sept quintils en alexandrins, le poème est publié sous le titre Strophes pour se souvenir en 1956, dans le recueil Le Roman inachevé. Ce nouveau titre annonce plus clairement la nature du projet d’Aragon ici : utiliser la forme poétique (« Strophes ») pour lutter contre l’oubli de tous les étrangers morts pour la France et contre la banalisation du mal (« pour se souvenir »). Ce poème s’inscrit en effet dans la grande tradition littéraire des oraisons funèbres2. Sa très grande popularité vient de la mise en musique qu’en a fait Léo Ferré en 1959 sous le titre L’Affiche rouge. Cette chanson est officialisée sur l’album Les Chansons d’Aragon en 1961. C’est sous ce titre que le poème est désormais le plus célèbre. (crédit Wikipedia)
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La mise en musique du poème d’Aragon avec l’interprétation inoubliable de Léo Ferré
Article lié
Rubrique sports (1941), émission « Le roman noir de l’histoire » de France Culture sur Rino Della Negra, texte de Didier Daeninckx tiré de son recueil Cités Perdues (2005)